
Quand le Chaos Remplace la Paix : Conséquences des Manifestations de la Gen Z au Népal
Cet article a été rédigé grâce aux précieuses informations et à la contribution de notre membre Prabesh Raj Joshi, directeur de l'Académie asiatique pour la paix, la recherche et le développement (AAPRD), une organisation à but non lucratif basée au Népal dont les activités sont axées sur la consolidation de la paix et la transformation des conflits, l'égalité des sexes et l'inclusion sociale, le développement communautaire et la gouvernance. Vous pouvez en savoir plus sur leurs activités en consultant leur site web.

Un mécontentement grandissant : de « NepoKid » à un tollé national
Les violentes manifestations qui ont éclaté au Népal le 8 septembre 2025 et qui ont suscité beaucoup d'attention de la part de la communauté internationale en raison de leur violence, ne sont pas survenues dans le vide. Une tendance sur les réseaux sociaux connue sous le nom de mouvement « NepoKid » ou « NepoBaby » est devenue virale sur TikTok et Reddit, où les jeunes critiquaient la façon dont les enfants des dirigeants politiques et de leurs associés élitistes affichaient leur style de vie luxueux et leurs privilèges considérables. Cette tendance est née dans le but de sensibiliser le public à la corruption au sein du gouvernement et aux conditions de vie et aux opportunités d'emploi inégales des jeunes dans toutes les provinces du Népal (où les jeunes de la classe ouvrière ont du mal à subvenir à leurs besoins quotidiens fondamentaux). Elle visait également à mettre en lumière les pertes économiques causées par l'inégalité fiscale. Selon la Banque mondiale, 20,85 % des Népalais âgés de 15 à 24 ans étaient au chômage en 2024, un chiffre qui a poussé de nombreux jeunes à partir à l'étranger à la recherche d'un emploi qui, souvent, ne correspond pas à leur formation ou à leurs compétences. Dans ce climat de désillusion et de frustration économiques, la décision soudaine du gouvernement de restreindre l'accès aux réseaux sociaux a été considérée comme la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
Une coupure numérique : réduire au silence toute une génération
Le 4 septembre, 26 plateformes de réseaux sociaux (dont Instagram, X, Facebook et LinkedIn) ont été brusquement fermées par le gouvernement, provoquant une perturbation majeure des communications dans tout le pays, ce qui a eu des effets dramatiques sur la capacité des jeunes à travailler. Officiellement, cette fermeture est survenue après que ces plateformes aient refusé de se conformer aux nouvelles règles du ministère de la Communication et des Technologies de l'information, mais la plupart des jeunes ont estimé qu'elle visait à mettre fin au mouvement NepoKid, ce qui constituait une atteinte directe à leur liberté d'expression, un rétrécissement de leur espace civique et un mépris flagrant de leur colère et de leurs préoccupations de la part du gouvernement. En réponse, les jeunes militants ont migré vers Discord, le transformant en un forum numérique de coordination, de débat et de planification stratégique. Des discussions sur la future direction du gouvernement intérimaire ont également eu lieu sur cette plateforme lorsque des représentants de la génération Z ont été invités à présenter leurs idées au quartier général de l'armée népalaise.
Dans ce contexte, les experts tirent la sonnette d'alarme quant à l'utilisation excessive des réseaux sociaux et leur influence sur ces événements politiques et dramatiques. Bien qu'ils présentent des avantages, ils doivent s'accompagner d'une prise de conscience aiguë de la rapidité avec laquelle les fausses informations et la désinformation peuvent se propager et alimenter la panique et la colère. Un rapport du Cyabra publié en septembre 2025, qui examine l'activité des profils inauthentiques amplifiant les discours de protestation sur X, met en garde contre la manière dont les faux profils ont stratégiquement utilisé des hashtags sur des récits ciblés pour manipuler et influencer les décisions des utilisateurs réels concernant les opérations et leur perception du mouvement. Le rapport souligne que les réseaux sociaux fonctionnent comme un nouveau champ de bataille générant une profonde division morale. Les plateformes peuvent être très sensibles aux mécanismes manipulateurs et intrusifs de perversion.
Néanmoins, la capacité de la jeune génération à reconquérir son espace civique a été observée dans de nombreux conflits à travers le monde et démontre la capacité d'adaptation des mouvements populaires, malgré les mesures agressives prises par les gouvernements pour faire taire leurs voix et tirer parti des réseaux sociaux pour mobiliser les masses.
Quand la paix se transforme en chaos
La manifestation a commencé comme un mouvement pacifique visant à dénoncer l'arrogance et l'ignorance du gouvernement. De nombreux dirigeants locaux y ont participé et des personnes se sont rassemblées dans les sept provinces du Népal, démontrant ainsi l'ampleur et la profondeur du mouvement. L'atmosphère a changé après que les forces de sécurité ont ouvert le feu sur la foule, lorsque les manifestants ont commencé à prendre d'assaut le parlement pour y mettre le feu et ont envahi la Cour suprême et les maisons de nombreux représentants du gouvernement. Plus tard dans la journée, le CDO (Chief District Officer) du bureau administratif du district de Katmandou a fait appel à l'armée pour rétablir le calme et la sécurité dans tout le pays. Néanmoins, 21 personnes ont trouvé la mort et plus de 400 ont été blessées. Pendant ce temps, le secrétaire général des Nations unies, Atonio Guterres, a exhorté l'armée à faire preuve de retenue et a « appelé les autorités à respecter les droits de l'homme », alors que la situation devenait rapidement incontrôlable.
Selon Prabesh (directeur de l'Académie asiatique pour la recherche et le développement en matière de paix), la violence reflétait de profondes divisions au sein même du mouvement. Il a expliqué que « les dirigeants souhaitaient un dialogue pacifique, mais la colère et la frustration ont submergé certains participants, qui se sont tournés vers la destruction pour exprimer leur douleur. Il y avait une division entre ceux qui cherchaient à réformer et ceux qui réclamaient une révolution ».
Un bouleversement politique : la démission de KP Sharma Oli
À la suite de l'escalade de la violence et de l'intervention de l'armée, les dirigeants de la génération Z et les représentants actifs des ONG participant au mouvement ont été invités à s'entretenir pour la première fois avec le chef d'état-major de l'armée, le général Ashok Raj Sigdel, afin de rétablir des négociations et un dialogue pacifiques. À l'issue de leurs discussions, un gouvernement provisoire a été formé, qui se concentrera sur les prochaines élections de mars 2026, et l'ancienne présidente de la Cour suprême, Sushila Karki, a été nommée nouvelle Première ministre.
Si certains ont perçu cette démission comme une victoire, de nombreux manifestants sont restés sceptiques. « Les actions du gouvernement ont été perçues comme réactives et arrogantes plutôt que transformatrices », a déclaré Prabesh. En effet, depuis 2015, le gouvernement népalais est extrêmement instable et a connu huit changements successifs entre les dirigeants des trois principaux partis. La population a critiqué un système dans lequel elle se sent exclue et déconnectée des trois principaux partis politiques en place, qu'elle accuse de ne pas s'engager en faveur de leurs idéologies « prétendues ».
Les jeunes générations réclament un véritable dialogue et veulent que leurs revendications soient entendues : la fin de la corruption et du népotisme, ainsi qu'une réforme du système politique du pays afin de créer une véritable république fondée sur des élections démocratiques équitables.
Bien que la « guerre populaire » de 2008 ait mis fin à la monarchie et laissé espérer la fin de l'oppression et de la domination des élites, les dirigeants du mouvement, qui ont ensuite rejoint la classe dirigeante, ont rapidement tourné le dos à leurs idéaux révolutionnaires et la corruption a éclipsé le nouveau système. Aujourd'hui, certains groupes du mouvement Gen Z veulent aller plus loin et réformer la Constitution, une avancée complexe car cette idée reste controversée en raison du paysage multiethnique et diversifié du Népal sur le plan religieux et politique.
Reconstruire le dialogue : la voie à suivre
Au cours de notre échange, Prabesh a souligné le fossé qui subsiste entre les jeunes générations et le gouvernement, qu'il considère comme un obstacle à un dialogue constructif. L'Asian Academy, aux côtés d'autres organisations œuvrant pour rétablir le dialogue et faire entendre la voix des jeunes, cherche à renforcer le rôle de la société civile dans la promotion d'idées collectives et à rassembler davantage de personnes autour du travail de consolidation de la paix.
Il a reconnu deux obstacles principaux à cette cohésion. Premièrement, les ONG influencées par les partis politiques et qui se concentrent sur des personnalités politiques spécifiques pour obtenir des financements rendent difficile la création d'une plateforme réunissant tous les membres de la société civile. Pour contourner cette dynamique, l'Asian Academy travaille avec des organisations qui sont établies depuis de nombreuses années en tant que piliers de la consolidation de la paix pour les communautés et qui ne sont pas considérées comme « corrompues ». Le deuxième obstacle est le conflit interne au sein du mouvement de la génération Z, entre ses représentants (dont beaucoup sont âgés d'une trentaine d'années) et ses membres plus jeunes. La voix du mouvement est loin d'être unifiée, car les jeunes participants estiment que leurs dirigeants ont fait preuve d'un manque d'initiative. Ce décalage complique encore les discussions entre le gouvernement et les leaders de la contestation, car leurs opinions et leurs revendications ne sont pas toujours alignées. Dans un contexte aussi fragile, la cohérence interne est une condition préalable essentielle à un dialogue constructif.
Les 20 et 21 novembre 2025 se tiendra le Quatrième Sommet du Dialogue Népalais. Il s'agit d'une initiative collective regroupant plus de 35 ONG locales et nationales qui se consacrent à la promotion d'une culture du dialogue au Népal. Depuis 2021, ce réseau, connu sous le nom de Nepal Dialogue Initiative, œuvre à favoriser et à institutionnaliser le dialogue comme moyen de maintenir la paix et de transformer les conflits à travers le pays. Ancrée dans les traditions organiques du dialogue au Népal, l'Initiative met l'accent sur des approches inclusives et communautaires pour résoudre les différends et favoriser la compréhension. Elle joue un rôle essentiel dans la promotion du programme Jeunesse, paix et sécurité (YPS) en offrant une plateforme structurée, collaborative et crédible pour amplifier la voix des jeunes et garantir qu'ils soient pris au sérieux par les décideurs.
Selon Prabesh, ce sommet est plus pertinent que jamais, car il explorera les voies d'une négociation pacifique et d'une transformation sociale. Il reste optimiste malgré le chaos actuel, mais souligne qu'il reste encore beaucoup à faire pour que les dirigeants politiques accordent la priorité aux droits humains et encouragent la confiance de la population, plutôt que de se concentrer uniquement sur les intérêts de leur propre parti.
Près de 19 ans après la signature de l'Accord de paix global le 21 novembre 2006, la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) du Népal reste l'une des rares occasions d'aborder la douleur et l'injustice subies par les victimes du conflit. Elle offre la possibilité de rouvrir le dialogue, de reconnaître les souffrances et d'apporter un soutien significatif aux personnes touchées. Cependant, une grande partie de ce travail reste inachevée. Prabesh estime que le moment est venu de renforcer la pratique de la consolidation de la paix, en amenant ces conversations au sein des communautés, en identifiant les lacunes qui subsistent et en reliant les efforts entre les générations afin de garantir la pérennité de la justice, de la réconciliation et des initiatives locales.
Un mouvement vulnérable dans un contexte fragile
Le mouvement a débuté comme un « collectif sans visage et sans leader », une caractéristique commune aux mouvements mobilisés par voie numérique. Cependant, pour réussir en politique électorale, il faut un leadership centralisé et identifiable. Cette réalité représente une vulnérabilité importante pour le mouvement.
Le gouvernement intérimaire népalais est désormais confronté à un test crucial en matière de crédibilité et de légitimité. Il doit avancer efficacement dans les enquêtes annoncées sur les excès de l'État, qui ont entraîné la mort de 76 personnes lors des manifestations, et sur les affaires de corruption très médiatisées impliquant d'anciens dirigeants politiques. Si les poursuites judiciaires ne sont pas menées de manière équitable et transparente, cela sera très certainement perçu comme une continuation de la négligence et de l'oppression.
Si les principales parties prenantes, les organisations de la société civile, les défenseurs des droits humains et les institutions étatiques ne s'engagent pas de manière proactive et constructive, le Népal pourrait connaître une nouvelle période de troubles sociaux et politiques. Les leaders et les participants à la protestation de la génération Z ne sont pas disposés à accepter que le gouvernement ne respecte pas ses engagements en faveur d'un dialogue proactif et inclusif dans l'espoir d'un avenir pacifique, et ils préviennent que les manifestations resteront intenses et violentes si l'impunité persiste.
Une génération qui exige du changement
Le mouvement GenZ alimente la rébellion et le changement au-delà des frontières. Alors que des manifestations éclatent au Maroc, à Madagascar, au Pérou, au Bangladesh et au Sri Lanka, nous voyons des jeunes descendre dans la rue pour exprimer leur mécontentement envers leurs autorités gouvernementales et revendiquer leur droit à la justice et à l'inclusion. Assistons-nous à l'émergence d'un nouveau monde politique, dans lequel les réseaux sociaux sont le point central de coordination et de promotion des manifestations et une plateforme d'expression des idées politiques et de la volonté de réforme ? Les jeunes générations ne veulent plus se taire et subir le fardeau de la corruption, du silence, de l'opacité et de l'oppression.
Des efforts soutenus en matière de dialogue et de consolidation de la paix sont essentiels pour relever les défis qui animent le mouvement de la génération Z au Népal, car ils offrent un moyen constructif et inclusif de résoudre des griefs profondément enracinés qui transcendent les changements politiques à court terme. Les dialogues multipartites (réunissant les jeunes, la société civile, le gouvernement et les acteurs politiques) peuvent contribuer à traduire les appels généraux en faveur d'un « changement systémique » et de la « lutte contre la corruption » en réformes concrètes dans les domaines de l'emploi, de l'éducation et de la gouvernance.
Pour parvenir à une réforme durable, le mouvement doit aller au-delà de la protestation et adopter des approches de consolidation de la paix axées sur la prévention des conflits, la médiation et la désescalade. De tels processus structurés permettent non seulement de canaliser l'activisme des jeunes vers un engagement non violent et démocratique, mais aussi d'intégrer les priorités sociales, économiques et politiques, garantissant ainsi une transformation systémique à la fois durable et résiliente.
Alors que le Népal se trouve à la croisée des chemins, le défi consiste non seulement à reconstruire les institutions, mais aussi à rétablir le dialogue en créant un espace où les jeunes peuvent exprimer leurs espoirs, leurs frustrations et leurs idées sans crainte ni division. Ce n'est que dans cet espace que les sentiments fracturés du pays pourront commencer à guérir et qu'une nouvelle génération pourra revendiquer la promesse d'un Népal plus juste et plus inclusif. L'avenir ne se décidera pas dans le silence, mais dans le courage des jeunes à s'exprimer, à écouter, à imaginer et à combler le fossé entre les générations. Il faut espérer que la paix prévaudra lorsque ces dialogues seront engagés.
« Si nous ne traitons pas les traumatismes passés qui doivent être guéris et le fossé qui subsiste, notre avenir sera marqué par davantage de manifestations et davantage de violence » - Prabesh Raj Joshi